Parfois les choses sont bizarres.
T'es la, tranquille, posee dans ta petite vie, tu commences juste a reprendre tes marques apres les dernieres aventures et paf, un truc te tombe dessus.
Alors certes, pas un miroir comme sur Arnaud Montebourg, non, une boite qui veut bosser avec toi.
Bon, dis comme ca, ca a l'air cool, hein... Tu te dis "bah faut voir"... et puis, comme t'as un peu (beaucoup ?) l'esprit de competition, tu te dis aussi "bah allez on verra bien jusqu'ou je peux aller". Alors tu rappelles la chasseuse de tete. Qui te pose un lapin, pour rester dans le vocabulaire gibier. Finalement, tu arrives a la joindre, ca se passe bien. Tu passes un autre entretien, avec son chef, le grand chasseur. Dans le meme temps, tu recois un sms d'une ancienne collegue qui te demande si tu as bien ete chassee parce qu'elle a donne ton nom a la chasseuse sus citee. Premiere deception. C'est pas vraiment les mots cle que tu t'es embetee a referencer dans linkedin, ni la description extraordinairement valorisante (mais quand meme pas trop) de ton parcours toujours dans le meme linkedin qui t'ont permis de sortir du lot, non. C'est parce que ta collegue qui vient d'avoir un bebe et qui n'a pas du tout le meme parcours que toi a, elle, ete vraiment chassee. Bon. Tu ravales ta deception, tu te dis "c'est pas grave de toutes facons, le poste m'interesse pas, j'y vais que pour voir combien je vaux".
Parce que oui, apres sept ans dans la meme boite, quand tu vois tous les gens autour de toi avoir deja change 2 ou 3 fois d'entreprise, tu te dis qu'il faudrait peut-etre pas s'encrouter non plus et commencer a regarder un peu ailleurs, faire un petit bench sur le marche, quoi... Alors tu continues.
Tu passes avec brio toujours le premier entretien par skype avec la responsable ressources humaines (RRH en jargon de l'Entreprise), ca se passe bien, en meme temps c'est normal, quand on lit la description de poste, on reconnait exactement ton parcours. Et puis, la, c'est juste un entretien de validation. Comme ca s'est bien passe, du coup, tu prends rendez-vous pour un autre entretien par skype avec le responsable operationnel (ton potentiel futur N+1).
La encore, c'est fluide. T'as zero stress puisque de toutes facons, le poste, tu n'en veux pas. Tu cherches juste a faire ta belle et a passer le prochain round. Semaine suivante, avec la potentielle N+2, toujours dans le jargon local. Bon, en plus d'etre totalement destressee parce que tu es par skype, a New York et qu'il neige (donc ta tete est completement ailleurs), le potentiel N+2 ne semble pas savoir super bien utiliser Skype, la connexion est pourrie, vous vous deconnectez quatre fois en une heure de discussion, mais y a un bon feeling. Elle est sympa, tu fais des blagues, on rigole, on passe un bon moment, on en aurait presque oublie qu'on est dans un entretien de recrutement la. Tu te dis a posteriori que c'est normal que ca se soit bien passe, parce qu'elle te ressemble un peu: dynamique, voire un tantinet bourrine et vous parlez le meme langage operationnel. Du coup, tu enchaines deux semaines apres avec la Directrice des Ressources Humaines (la fameuse DRH) de la filiale. Bon, c'est un entretien RH, t'aimes pas ca, mais comme t'es loin et que c'est encore par skype, bah ca se passe bien. Et puis, il ne faut pas l'oublier, t'en as rien a cirer du job.
Quand elle commence a te dire qu'il va falloir faire les prochains entretiens aussi par Skype avec la DRH et le CEO de la filiale, mais que si tu veux ils te paient un billet pour rentrer un weekend si tu veux voir les locaux, tu commences a flipper et a dire "Oula ma grande, on va se calmer hein. J'ai jamais dit que je voulais rentrer, je passe juste les entretiens pour voir combien."
Comme toujours dans ces cas la, tu joues la montre, tu leur expliques que t'es en France dans trois semaines alors on va s'eviter des deplacements inutiles et on va rencontrer tout le petit monde restant en physique dans leurs locaux. Par le petit monde restant, comprendre quand meme deux membres du comex (encore un mot de jargon local, une pensee emue pour tous mes lecteurs fonctionnaires, le comex, c'est le Comite Executif, les big boss quoi), va falloir quand meme penser a ca quand tu feras ta valise pour ton trip en France trimestriel. Entre temps, Maurice le chasseur t'a rappelee pour te transmettre ses peurs (en gros, il pense que t'es une grosse bourrine, pas capable de t'adapter et d'etre un peu plus politiquement correcte, sympa le garcon, alors gentiment il veut te prevenir. Parce que bon il a vachement peur pour sa prime, Maurice).
Ah oui, parce que si je suis recrutee, Maurice, il va empocher une prime a 5 chiffres probablement...
Bref, Maurice a quand meme reussi a te faire stresser un peu (et aussi quelques autres personnes qui t'ont prevenue, hein, la DRH est hyper froide et elle a un droit de veto, rien a voir avec le gibier cette fois-ci, son avis est decisif) et tu y vas un peu moins relax. Surtout que comme c'est en physique, tu peux pas avoir garde ton bas de pyjama en bas, non, cette fois-ci t'as du reflechir un peu a comment te fringuer. Pi c'est a Paris. T'avais oublie combien les parisiennes sont judgemental les unes envers les autres. Ca te soule un peu au passage, mais bon, tu vas tranquillement a ton entretien, a midi. Comme t'es encore jet laggee t'as pas trop faim, ca va. Comme ladite DRH a une demie heure de retard et qu'on t'a collee dans une salle ou tourne en boucle le crash d'un avion avec 150 morts, t'as encore moins faim. Tu passes l'entretien. Ok elle est un peu froide au debut, Mauricette, mais finalement, bah ca se passe pas trop mal et t'es confiante pour le round suivant, la semaine d'apres encore. Pour ce dernier round, en dehors du fait que tu t'es plantee de lieu (heureusement les deux sites n'etaient qu'a dix minutes l'un de l'autre) et que donc tu es arrivee a 9h15 (au lieu de 9h) a ton entretien avec le fameux CEO, et que tu as ton train pour aller chez tes parents juste ensuite, et ton avion en fin de weekend, donc pas de report possible, ca se passe bien. T'as fait preuve d'adaptabilite, de synthese et de force de conviction, trois de tes traits caracteristiques que tu te targues d'avoir dans chacune de tes lettres de motivation (tu m'etonnes qu'en un quart d'heure d'entretien, t'as ete synthetique et convaincante!). Bref, ca se passe bien, tu prends ton train et t'as meme le temps de prendre un cafe a la gare de Lyon.
Jusque la, parcours sans faute et sans encombres. Pas de pression, tu colles pile poil a ce qu'ils cherchent, donc no stress.
Le lendemain, ton futur potentiel N+1 te rappelle pour te dire que c'est bon et qu'ils vont te faire une proposition. Ah ben c'est cool, mais comme t'es pas particulierement suprise ni demonstrative, tu ne sautes pas de joie. Et puis, t'es chez tes parents, pour decompresser et te reposer, pas pour mixer ta vie privee avec ta vie professionnelle. Donc bon, tu remercies poliment et tu dis que tu vas voir ce que tu peux faire pour deplacer ton vol. En fin d'apres-midi, le chasseur te rappelle. Ca t'arrange pas de decrocher, parce que la, t'es dans la salle des fetes du village et t'attends impatiemment que les selections du jeu des 1000 euros commencent, t'as meme revise la mythologie grecque avec Papa l'apres-midi. Donc quand Maurice t'appelle a un quart d'heure du debut, pour parler negociations salariales, t'es pas forcement ni super a l'aise dans la salle des fetes, ni super concentree sur la discussion. Mais t'as confiance en Maurice. S'il a pas ete foutu de trouver ton CV sur linkedin, il sera peut etre quand meme capable de bien negocier pour toi, hein. Parce que toi parler argent, tu detestes ca. Resultante historique et familiale, l'argent c'est sale. Et comme en plus, t'as fait la guerre, t'as l'impression que tu vas toujours en manquer et que donc, il faut toujours te preparer au pire, ca t'arrangerait (donc) bien que Maurice il negocie (bien) pour toi.
Note que la, t'as completement oublie que le job te plait pas hein. Tu ne vois plus que le "combien" qui se profile.
Alors, comme si jamais tu devais quand meme accepter cette offre parce que financierement ce serait tres allechant (quand bien meme tu sais qu'une offre allechante ne suffit pas a faire un bon job, cf. ton stage de chef de secteur), t'aimerais quand meme bien voir la gueule de ton N+1 en vrai et celle des bureaux aussi, tu te dis finalement, pourquoi ne pas retarder ton depart. Du coup au retour de weekend, tu te pointes quelques heures avant d'aller prendre ton avion dans leurs locaux et meme si tu le sens pas d'aller parler argent, meme si tu sais que c'est pas une bonne idee parce que ca te met mal a l'aise, tu y vas quand meme, juste pour voir.
Et la tu vois bien. Ou tu vois rien. Tu vois bien que t'es pas dans ton etat normal. Tu vois bien que tu reponds des trucs incoherents. Tu vois bien que t'as les bras ET les jambes croisees et que t'es pas tres souriante. Mais tu vois rien aussi quand en face on te tend des perches pour que, justement, tu te detendes. Et tu ressors en pensant a ton avion, parce que l'avion, ca te stresse.
Une heure apres, Maurice te rappelle catastrophé. Maurice, lui, il a pas compris. Il a pas compris comment une petite meufette parfaite pour ce job a pu foirer autant ce qui devait etre une formalité. (ah, au passage, tu sais combien tu vaux hein). Comment t'as pu "passer de 99% de chance d'etre embauchee a moins de 30%". Alors Maurice il decide de te coacher. Comme t'as toujours pas recuperé ton cerveau depuis 5 jours, tu dis oui oui, mais tu comprends rien. Si ce n'est que tu dois rappeler le potentiel N+1 des le lendemain pour t'excuser parce que tu as été arrogante et dans l'opposition. Meme si la seconde partie fait legerement écho, tu passes outre et, comme t'as aussi recuperé ton cerveau et que ce que tu allais gagner est en train de t'echapper et ca, certainement pas, echouer si pres du but, ca va pas la tete, tu fais "acte de contrition", comme le chasseur t'as dit et tu ecoutes le gars t'expliquer qu'il t'a jugee "pas humaine" et "serieuse et qui se prend au serieux". Tu encaisses en rigolant. Jaune mais en rigolant quand meme, hein. Parce que le "pas humaine"... ca te fait presque autant rire que quand Maurice t'avait appelee pour te brieffer sur le fait que pour les entretiens avec des membres du comex, fallait la mettre un peu en veilleuse et aucours duquel il t'avait dit qu'on ne sentait "pas beaucoup de craintes" chez toi, et que cette boite adorait ta "spontanéité" et ton "capital confiance". Toi qui a passe les six derniers mois de ta vie en France a tous les jours te dire que tu n'etais pas légitime a ton poste, mmh, tu le sens bien la, ton gros capital de confiance. Pi tu sens bien aussi la statuette des oscars pour la performance que tu as alors jusque la delivree...
Bref, comme t'as envie de gagner et que ca te fait rigoler, et qu'au fond, ce job, t'en veux pas, parce que c'est pas ce que tu cherches la maintenant tout de suite, tu fais aussi acte de contrition aupres de la RRH (la fameuse), qui te dit qu'elle revient vers toi lundi.
Et la, c'est lundi soir et elle n'est pas revenue vers toi...
Et quelque part et ben, meme si t'en as rien a cirer du job, ca te soule. Parce que toi, t'as fait ta part du boulot. T'as ete excellente sept fois de suite; et, une fois t'etais pas bien et t'as pas reussi. Et derriere, t'as reconnu pas avoir été bien ce jour la et pas avoir montré ce que tu es vraiment (a moins que, vraiment, tu ne sois inhumaine, hein, peut-etre. Comme te l'a fait remarque une copine, t'aurais peut-etre pas du parler de ta collection de posters de dictateurs, c'est pas faux, ma bonne dame, on aurait du en rester a l'echange de recette de paté de tete, entre amis de la nature).
Mais quelque part aussi, ca te soule pas mal qu'ils t'aient pas rappelee aujorud'hui comme ils avaient dit. Parce que ca te met dans la position du demandeur et tu detestes ca. Du coup, comme t'es toujours dans l'esprit d'opposition (bah oui, ca c'etait pas faux hein), tu les rappelles pas et qu'ils aillent tous crever, bouffés par des sangliers enragés, tiens.
La conclusion de tout ca, c'est que, meme si la vie c'est des opportunites, et la vie professionnelle aussi pour certains, parfois, il ne faut pas sauter sur tout ce qui bouge ! Je trouve quand meme ca fou que dans l'Entreprise aujourd'hui, on ne te donne pas droit a l'erreur. Alors oui, j'ai été mauvaise sur ce qui devait n'etre qu'une formalité. Mais ne pas rendre de réponse alors que l'on s'y engage, je trouve ca impoli et presque humiliant.
Sur ce, la chasse est ouverte !
PS: en vrai non, hein, c'est le printemps, l'époque de la reproduction, pas touche !